Les débuts littéraires de T. M. Rives sont loin d’être conformes à ceux que l’on pourrait attendre d’un jeune Californien de 30 ans ! A cent lieues de l’univers techno déjanté auquel nous ont habitués les écrivains de la jeune génération de la côte ouest, il nous ramène en plein cœur d’une Amérique profonde qui n’a pas été rattrapée par l’ère de l’électronique, celle que David Lynch a filmée avec une élégante lenteur dans « une histoire vraie ».
Une Amérique provinciale et puritaine, étriquée et conformiste, où le moindre de vos faits et gestes est épié et commenté par les voisins, et où l’élégance n’est de mise que le dimanche pour aller à l’église. Dans ce cadre d’où l’on s’attendrait presque à voir surgir l’inquiétant Robert Mitchum de « la nuit du chasseur », T M Rives situe une « novella » lumineuse et légère, grave et moqueuse et même ironiquement cruelle. Veuve depuis quatre ans, «la mère de Macey» est l‘image même de la respectabilité conventionnelle et du conformisme borné, ce qui n’empêche pas quelques frustrations. Aussi se laisse-t-elle volontiers convaincre par sa voisine que le mâle costaud, intellectuel et universitaire de surcroît, qui étudie sur le terrain les insectes ou autres bestioles du même genre, pourrait être la réponse idéale à son insatisfaction tout en devenant le père dont sa fille a besoin. Elle entraîne donc sa fillette, dûment munie d’un « guide régional des insectes de la forêt », dans une promenade pique-nique dont le but inavoué est de leur faire croiser le chemin de la cible choisie. Mitchell Flach, dont la spécialité est en fait l’herpétologie, l’étude des serpents, est brillant, cultivé, caustique et sait profiter des bonnes occasions quand elles s’offrent si facilement. Mais la vraie rencontre, c’est entre Flach et Macey qu’elle se produit. Ils se reconnaissent, et se comprennent. De cette enfant secrète observatrice et silencieuse, il détecte le côté vipérin et va, le temps d’un été, être pour elle un initiateur. Rien toutefois de trouble ou de glauque dans cette initiation . Ce qu’il va lui apprendre, c’est l’observation de la nature, l’ouverture sur les autres, le rejet des idées reçues, la communion avec la nature. Derrière le dos de la mère, ils scellent leur alliance silencieuse par la construction d’un vivarium où sera enfermé un serpent que Macey devra prendre l’engagement d’étudier et d’élever. « quand tu mets un truc sauvage dans une cage, c’est lui qui devient ton maître, ça ne peut pas être autrement. C’est un contrat. » Et ce contrat, Macey le respectera fidèlement, même après le départ de Flach, et en dépit de la frustration jalouse de sa mère qui n’a rien compris. Le style de T. M. Rives parle à tous les sens : on peut humer, toucher, goûter, entendre les mots. Ils ont une odeur d’herbe fraîche, une couleur de ciel bleu. On y entend le bruit du vent, le glissement silencieux du serpent des blés dans les broussailles. Avec une précision d’entomologiste, une légèreté de poète et une technique littéraire remarquable, ce jeune auteur nous fait entendre une voix originale et fort prometteuse.
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