Gary Shteyngart est le produit détonant d’identités qui pèsent chacune leur poids de névroses : il est Juif, Russe et New Yorkais. On imagine les casseroles que traîne derrière lui son héros Vladimir Grishkin, dont nous faisons la connaissance en 1993 le jour de ses 25 ans. Il a une copine américaine lourdaude et dépressive qui bosse comme dominante dans une antre à flagellation de Chelsea, un meilleur ami, Baobab, un rouquin graisseux et déglingué, de retour de narco-aventures à Miami, des clients difficiles dans l’association pour l’insertion des immigrants où il travaille, et bien sûr, il a une mère qui n’est pas, comme on s’en doute, le moindre de ses problèmes.
Volodia et sa famille sont arrivés en Amérique 13 ans auparavant, en provenance de Leningrad, maintenant Saint Petersbourg et sont un modèle de réussite sociale et d’intégration réussie. Père ne vit que pour sa propre mère, l’affectueuse babouchka de Vladimir, qui depuis sa première attaque cérébrale, passe son temps à veiller les arbres du jardin de sa chaise roulante. Quant à l’amour de Mère, c’est le fardeau écrasant de tout bon fils Juif. Difficile dans ces conditions d’être tout simplement « un Américain en Amérique », et de ne plus se sentir un « réfugié » dans une société américaine impitoyable. Heureusement Vladimir est très malin et doté d’un relativisme moral et d’une imagination qui vont l’aider à se sortir d’invraisemblables et hilarantes mésaventures. Obligé de fuir l’Amérique pour échapper à un Mafieux gay, sa devise « tire toi tant que tu peux et par n’importe quel moyen » va le conduire à Prava, une capitale d’Europe de l’Est qui ressemble à s’y méprendre à Prague. Dans ce « Paris des années 90 », terrain de prédilection de l’avant-garde artistique américaine issue des universités progressistes, il est embauché par le Parrain local, et va tirer profit des quatre pierres angulaires de la société soviétique « cruauté, colère, haine, humiliation » pour en faire les atouts gagnants d’un florissant business d’arnaque des expats.
Vladimir, l’outsider qui, pour notre plus grand plaisir, a su prendre le pire des deux mondes, nous offre avec ce traité de savoir-vivre une formidable et bien réjouissante leçon de vie à l’usage de tous.
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