A 19 ans, May Duignan décida de refuser la famille nombreuse, la dépendance au mari, qui étaient le lot commun des femmes pauvres dans l’Irlande rurale de la fin du 19ième siècle, et s’enfuit en Amérique en emportant les économies familiales. En l’espace de quelques décennies, elle devint Chicago May, une légende vivante, la « reine des bas fonds », comme elle l’a elle-même raconté dans son autobiographie publiée en 1928, à la fin, (ou presque, car elle n’avait pas encore dit son dernier mot !) d’une vie aussi peu édifiante que riche en rebondissements, qui avait tout pour inspirer une œuvre de fiction flamboyante.
Pourtant cette vie misérable, douloureuse, à la limite du sordide, d’une prostituée, voleuse, escroqueuse, sa compatriote la romancière mémorialiste Nuala O’Faolain a choisi de nous la restituer en l’état,sans retouches, 70 ans après les faits, dans une admirable ‘biographie factuelle’ qui repousse les limites du genre.
Dans un travail un peu comparable à ce que Truman Capote a fait dans de sang froid, elle se livre à un minutieux travail de recherche et d’analyse, se basant en priorité sur les mémoires de Chicago May, mais aussi sur des documents d’époque, des témoignages, des photos, des preuves avérées. Elle se fait tour à tour journaliste d’investigation, historienne, sociologue, psychologue et même profileuse, se permettant parfois des interprétations et des spéculations personnelles pour mieux traquer le non-dit derrière les pauvres mots de May. Entre l’auteur et son héroïne, se crée un étrange lien de parenté, celui sans doute qui réunit deux exilées qui ont payé le prix fort pour ne pas avoir accepté les règles du jeu, deux femmes qui n’ont jamais guéri des blessures de l’enfance.
Et le résultat, c’est un magnifique portrait, plus émouvant que n’importe quelle fiction, d’une femme sans doute pas très attachante, pas très intelligente, mais dotée d’une incroyable faculté de résilience et d’une vitalité indomptable, une femme libre.
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