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coup de coeur poche : Journal d'un lecteur - Alberto Manguel

Le Must de la saison pour tous les amoureux de la littérature. Le célèbre romancier, anthologiste, critique, essayiste Alberto Manguel, argentin naturalisé canadien et vivant en France, auteur entre autres petits bijoux d’élégance et d’érudition , d’«Une histoire de la lecture» et «Dans la forêt du miroir», nous invite à le suivre dans une promenade littéraire d’une année, de juin 2002 à mai 2003, au fil de ses lectures, réflexions et souvenirs.

Alors qu’il lisait «Les affinités électives» de Goethe, il a soudain été frappé par la façon dont un paragraphe, parfois même un seul mot du roman, pouvaient l’entraîner, à travers les méandres de sa mémoire ou de sa pensée, dans de longues digressions sur la vie, la société et la littérature contemporaines. A la recherche de ces instants de grâce, il a décidé de tenir un journal dans lequel il noterait pendant un an les réflexions, souvenirs de voyage, impressions personnelles sur ses amis, sa vie privée ou publique qu’évoqueraient pour lui la lecture ou relecture de 12 œuvres, à raison d’une par mois. Lectures éclectiques : « Kim» de Kipling, «Don Quichote», «Ll’île du docteur Moreau » de Wells, qui entraînent vers d’autres œuvres, d’autres auteurs, connus où à découvrir comme Sei Shonagon, dame de compagnie de l’impératrice du Japon à la fin du Xème siècle, avec laquelle, nous dit-il, il partage l’amour des listes.

Une idée en entraîne une autre, évoque un souvenir, appelle une observation intimiste ou une analyse pénétrante, le fait musarder au hasard de villes ou de pays et réfléchir sur notre société, l’Art et le sens de la vie. Lire le journal de ce merveilleux lecteur qu’est Alberto Manguel, c’est un peu comme si vous écoutiez au coin du feu, un ami d’une élégance, d’une culture et d’un raffinement incomparables parler rien que pour vous, en toute simplicité et en toute intimité.

coup de coeur : Le tristement célèbre Johnny Lim - Tash Aw

C’est dans le décor exotique de la Malaisie en crise de la période coloniale d’avant la seconde guerre mondiale, puis dans les années 1940, alors que les Japonais occupent déjà la Mandchourie et avancent inexorablement à travers le Siam, en direction de la Malaisie où les Britanniques tentent de maintenir leurs positions, que Tash Aw situe l’action de ce captivant premier roman mosaïque aux accents parfois Conradiens, où se font écho trois voix subtilement distinctes dont il orchestre les dissonances avec beaucoup de grâce.

Qui était réellement l’insaisissable et énigmatique Johnny Lim ? un infâme assassin, un escroc sans foi ni loi,trafiquant d’armes et d’opium, un communiste révolutionnaire, agent double  traître à son pays, un inventeur de génie, un self made man parti de rien, un aventurier visionnaire un romantique passionnément amoureux de sa femme ? Son fils Jasper, la belle Snow Soong, sa femme, l’Anglais Peter Wormwood qui fut son ami, proposent, chacun leur tour, leur vision fragmentaire, kaléidoscopique et passionnelle d’un homme qu’ils ont si peu ou si mal connu, mais sur lequel ils ont projeté leurs propres sentiments d’insécurité, leurs peurs, leurs fantasmes, leurs névroses, leurs aspirations et leurs rêves.

coup de coeur : Bon vent - Pascal Morin

Une fois de plus, Pascal Morin explore la symbolique des éléments et les peurs, les fantasmes et les obsessions qui s’y rattachent. Après l’eau et le feu de ses deux premiers romans, c’est dans l’air, immobile et oppressant, glauque et silencieux d’un  Sud desséché de l’arrière saison, que tentent de s’échapper le narrateur et 4 compagnons venus comme lui  s’exercer au vol libre dans une ancienne caserne reconvertie en centre de parapente.

Des liens de complicité se tissent entre eux, liés sans doute au  plaisir de partager une expérience nouvelle, de se retrouver, entre hommes, un verre à la main, autour d’un barbecue où grillent des saucisses,  ou au bistrot du village pour une soirée tranquille de discussion entre amis. Mais derrière la façade suave et sereine de normalité apparente, la tempête plane,  la violence affleure, les fantômes rôdent, car tous sont venus surtout pour affronter leurs angoisses, exorciser leurs démons intimes et oublier un passé qui les hante, les cloue au sol et les paralyse.

Parviendront ils à lâcher du lest pour  réaliser enfin le rêve d’Icare en s’élevant au dessus de cette terre pesante sous leur voile géante, enfin libres !

coup de coeur : L’histoire de Chicago May - Nuala O’Faolain

A 19 ans, May Duignan décida de refuser la famille nombreuse, la dépendance au mari, qui étaient le  lot commun des femmes pauvres  dans l’Irlande rurale  de la fin du 19^ième siècle, et  s’enfuit en Amérique en emportant les économies familiales. En l’espace de quelques décennies, elle devint Chicago May, une légende vivante, la « reine des bas fonds », comme elle l’a  elle-même raconté dans son autobiographie publiée en 1928, à la fin, (ou presque, car elle n’avait pas encore dit son dernier mot !) d’une vie aussi peu édifiante que riche en rebondissements, qui avait tout pour inspirer une œuvre de fiction flamboyante.

Pourtant cette vie misérable, douloureuse, à la limite du sordide, d’une prostituée, voleuse,  escroqueuse, sa compatriote  la romancière mémorialiste  Nuala O’Faolain a choisi de nous la restituer en l’état,sans retouches, 70 ans après les faits, dans une admirable ‘biographie factuelle’ qui repousse les limites du genre.

Dans un travail un peu comparable à ce que Truman Capote a fait dans  de sang froid, elle se livre à un minutieux travail de recherche et d’analyse, se basant en priorité sur les mémoires de Chicago May, mais aussi sur des documents d’époque, des témoignages, des photos, des preuves avérées. Elle se fait tour à tour journaliste d’investigation, historienne, sociologue, psychologue et même profileuse, se permettant parfois des interprétations et des spéculations personnelles pour mieux traquer le non-dit derrière les pauvres mots de May. Entre l’auteur et son héroïne, se crée un étrange lien de parenté, celui sans doute qui réunit deux exilées qui ont payé le prix fort pour ne pas avoir accepté les règles du jeu, deux femmes qui n’ont jamais guéri des blessures de l’enfance.

Et le résultat, c’est un magnifique portrait, plus émouvant que n’importe quelle fiction, d’une femme sans doute pas très attachante, pas très intelligente,  mais dotée d’une incroyable faculté de résilience et d’une vitalité indomptable, une femme libre.

coup de coeur poche : Avant le gel - Henning Mankell

Sale temps pour les policiers quinqua ! Après Rebus, qui voit avec angoisse approcher l’heure de la retraite, c’est Kurt Wallander qui s’apprête à passer la main. Mais pour lui, c’est encore pire, car celle qui, début septembre, va le rejoindre au commissariat de Ystad, fraîche émoulue de l’école de police de Stockholm, c’est sa fille Linda. En attendant d’entrer officiellement en fonction, elle s’est installée chez son père en cette fin d’été 2001, histoire de flairer l’atmosphère et d’établir un pont entre le passé et le présent. Elle renoue avec deux amies d’enfance restées à Ystad : Zeba, la mère célibataire qui fait la barmaid pour élever son petit garçon de 2 ans, et Anna Westin, étudiante en médecine, vulnérable et secrète, jamais remise de la fuite de son père 25 ans plus tôt, quand elle avait 5 ou 6 ans.
La cohabitation provisoire avec son père s’avère difficile, ils ont tant de choses en commun : des bouffées d’irritation, une tendance à se sentir blessé par presque rien. Par instants, ils sont proches, à d’autres, « il y a entre eux comme une crevasse, et ils doivent jeter d’un bord à l’autre un pont branlant pour pouvoir se rejoindre ». chacun traîne ses démons intérieurs, ses cicatrices mal refermées, sa solitude. La vie de Kurt est un amoncellement de « problèmes personnels inextricables et de problèmes de travail qu’il empoigne avec la force et la fureur d’un ours ». Linda ,à près de 30 ans, porte sur ses épaules de fille unique le poids de la responsabilité de ses parents, oscillant toujours à leur égard entre culpabilité et colère.
Tous deux vont se trouver confrontés à une série de meurtres particulièrement brutaux et effroyables qui ressemblent à des sacrifices rituels, d’abord d’animaux puis d’humains. Parallèlement à l’enquête officielle de son père , Linda,encore sur la touche, mène la sienne, essayant de comprendre ce qui a pu provoquer l’étrange comportement de son amie Anna, suivi par sa disparition. Procédant comme son père à l’intuition, elle se lance en franc tireur et à l’encontre de toutes les règles de l’école de police, sur la piste de fondamentalistes chrétiens qui veulent provoquer une vague évangélique et faire comprendre au monde que le temps des martyrs est revenu .
Bientôt ce sera l’automne, et un matin, il y aura du gel sur le sol. Nous sommes le 10 septembre 2001.

coup de coeur poche : Cauchemar nippon - Matthew Kneale

Daniel Thayne a 25 ans, il est anglais, et avec pour tout viatique sa curiosité et ses appareils photos, il s’est embarqué pour un tour du monde dont la première étape l’a mené au Japon où il essaie tant bien que mal de gagner de quoi poursuivre son voyage.

Mais les choses ne se passent pas exactement comme il l’avait prévu : Il n’a pas de permis de travail et se voit contraint d’accepter de se faire honteusement exploiter par la directrice de la sordide école de langues où il donne des cours d’anglais. Il a perdu son passeport et il a une liaison avec une de ses étudiantes, divorcée passablement névrosée, ui à plus de 30 ans, porte encore des chaussettes Mickey. Après l’emballement du début, les relations entre eux se sont tendues, l’insatisfaction de Keiko devient palpable et Daniel réalise qu’il est temps de reprendre la route… dés qu’il aura récupéré son passeport et soutiré à sa directrice l’argent qu’elle lui doit.

Tout dans ce pays lui semble incompréhensible et ces Japonais dont il ne comprend ni la langue, ni les réactions, sont pour lui une véritable énigme. Mais le pire reste à venir car la famille de Keiko, a bien l’intention d’obliger Daniel à épouser leur fille, et pour y arriver, ils sont prêts à employer les grands moyens. Sans argent, sans amis, sans passeport, sans soutien ni de sa famille, ni de son Ambassade, Daniel est pris comme une mouche dans une toile d’araignée.

Dans cette histoire aigre douce des tribulations d’un Anglais au Japon, Matthew Kneale, historien et globe trotter, explore d’une plume cruelle mais avec la « touch of humour » typiquement British, les problèmes de compréhension entre Orient et Occident.

Entre des Occidentaux arrogants et des Japonais crispés dans le respect des traditions qui regardent avec méfiance et une certaine hostilité des étrangers dont ils ignorent tout, les relations ne sont pas faciles. Et le comportement inconséquent des uns et des autres peut entraîner des répercussions tragiques.

coup de coeur : Ronde de nuit - Sarah Waters

La  créatrice d’un genre que des critiques facétieux nomment « Lesbian Victorian Romps » (ébats de Lesbiennes victoriennes), est l’auteur à succès de trois faux  thrillers historiques  dont l’action se situe dans un Londres glauque à souhait, où les héroïnes plongent, en de périlleuses quêtes initiatiques dans les bas-fonds du Londres sordide du XIXe siècle, à la recherche d’elles mêmes et de leur véritable identité. Avec Ronde de nuit, Sarah Waters   change d’époque et de style en choisissant pour cadre de son quatrième roman, la période troublée de la 2ième guerre mondiale et de l’après guerre, en passant d’une narration à la première personne, intense et fièvreuse à la 3^ième, plus distanciée et moins passionnelle, et en  inversant la structure chronologique. C’est dans le présent, en 1947, dans un Londres morne et ravagé, que nous rencontrons pour la première fois quatre personnages, dont le seul lien qui les unit est d’avoir survécu à la guerre.  Kay traîne derrière elle la nostalgie de l’époque où, derrière le volant de son ambulance, elle était quelqu’un. Duncan, en proie à des crises d’angoisse, vit avec un mystérieux « oncle » tandis que sa sœur Viv entretient une relation vidée de son sens avec un homme marié. Elle travaille dans ‘le bureau des cœurs solitaires ‘avec Helen, qui dissimule sous des airs calmes, un profond sentiment d’insécurité.

De section en section, on remonte le temps : 1944, puis 1941, ce passé apocalyptique encore si proche où sont enfouis de lourds secrets. Les mystères se font jour, des strates de non dit et  de violence contenue se révèlent, qui éclairent d’un jour nouveau le cheminement des quatre protagonistes,  leur impression de  vide, leurs angoisses, leurs profonds traumatismes.

Avec ce roman tout en poignante sobriété et en intensité contenue qui figure d’ores et déjà sur la longlist du Booker Prize 2006,  Sarah Waters nous livre sans doute son œuvre la plus accomplie et la plus émouvante.

coup de coeur poche : Le Michel Ange électrique - Sarah Hall

Les bonnes fées se sont certainement penchées sur les berceaux de la nouvelle génération de romancières de langue anglaise, qu’elles soient Britanniques ou originaires du Commonwealth, en tous cas, elles nous réservent de bien bonnes surprises car ces trentenaires : Zadie Smith, Chimamanda Ngosi Adichie, Monica Ali, et maintenant Sarah Hall, sont non seulement jeunes et jolies, mais en plus bourrées de talent.

Sarah Hall est née en 1974, dans le nord ouest de l’Angleterre, où se situe l’action de son premier roman «Haweswater», superbe histoire d’amour lyrique, dans la tradition romantique et classique des « Hauts de Hurlevent » – encore non traduite en français, mais gageons que cette lacune sera bientôt comblée ! «Le Michel Ange électrique» qui a obtenu un énorme succès en Grande Bretagne et aux States, et figure dans la liste des favoris au Booker Prize 2004, raconte également une histoire d’amour, mais dans un style complètement différent.

La première partie du roman se déroule à Morecambe, petite ville sur la côte nord ouest de l’Angleterre, pendant la guerre de 14/18. Pour le jeune Cyril, adolescent extraordinairement doué pour le dessin, la vie n’est pas facile : son père a disparu en mer peu de temps avant sa naissance et il aide sa mère Reeda qui fait aussi office d’avorteuse, à s’occuper des pensionnaires du modeste hôtel familial, presque tous tuberculeux. A 14 ans, ses dons sont remarqués par Riley, un tatoueur génial mais alcoolique et brutal, qui le prend comme apprenti et l’initie à son art et aux dures réalités de la vie. A la mort de sa mère, se proclamant le « Michel Ange électrique », il décide de tenter sa chance en Amérique.

Dans cette fête foraine permanente qu’est Coney Island, il rencontre Grace, une artiste de cirque dont il tombe éperdument amoureux. A sa demande, il grave sur son corps, à l’infini, un seul et unique motif : un œil. Avec le « Michel Ange électrique », histoire d’amour émouvante et passionnée qui se termine en tragédie, opéra lyrique où des personnages hors du commun, baroques et flamboyants, oscillent sans cesse entre désespoir et rédemption. Sarah Hall signe un roman qui la place directement sur le devant de la scène littéraire contemporaine.

coup de coeur : Fergus - Adrienne Miller

Un premier roman exubérant, original et excitant, véritable feu d’artifice d’imagination et de vitalité créative, entre farce burlesque, psychodrame et tragi comédie de mœurs à

la Jonathan Franzen.

Les dialogues sont percutants, les personnages excentriques et flamboyants, l’intrigue foisonnante, si riche et si alambiquée qu’elle semble même parfois échapper au contrôle de son auteur, la très jolie Adrienne Miller, responsable de la section littéraire du  célèbre magazine Esquire.

A Akron, Ohio,une petite ville sans histoire du Midwest, elle situe la  saga du clan Haven, une famille très dysfontionnelle, avec à sa tête le très narcissique Lowell Haven, auto portraitiste célèbre prêt à tout pour satisfaire un ego surdimensionné, son amant Fergus, le narrateur principal, immensément riche, névrosé, spécialiste en d’armures médiévales, son ex femme Jenny qui noie dans l’alcool ses ambitions artistiques déçues, sa fille Merit, trentenaire  perturbée, mariée à Wyatt un ingénieur en proie à des manies compulsives. Dans le  faux manoir de 65 pièces où Fergus les a réunis, à l’occasion de l’une des somptueuses fêtes dont il est l’organisateur très imaginatif, vont se révéler des secrets d’une incroyable complexité.

Une œuvre décoiffante pour des débuts incroyablement prometteurs.

coup de coeur : Le privé - Michel Maisonneuve

Après « le chien tchètchène », qui donne au polar marseillais ses lettres de noblesse, Michel Maisonneuve récidive avec un étincelant faux hard boiled américain dégoulinant de blues, un vrai roman noir noyé de mélancolie où l’on croise,  au détour d’une rue qui pourrait être à Marseille, la silhouette d’un loser taiseux et fauché obligé de pointer au chômage quand les fonds sont trop bas, c'est-à-dire presque tout le temps. Il trimballe derrière lui des tonnes de mélancolie, de dégoût de soi et d’illusions déçues mais  se bat avec l’énergie du désespoir, contre la vie dite normale et contre le lobby secret qui règne sur la ville qu’il désigne par la lettre K. Il n’est pas vraiment seul pourtant, car pour lui « affermir le cœur quand il faiblit, pour l’aider à survivre, à oublier qu’il a quitté le temps de lumière de ses 15 ans »,  il  s’est inventé  un double, Le Privé, en  trench et  feutre mou,  la king size vissée au bec : c’est Sam Spade nourri de son propre mythe,  Marlowe l’indomptable qui semble sorti du Faucon Maltais. A eux deux, ils sont plus forts que leur adversaire. Et le jour où il se sent enfin prêt à affronter seul les Assedic, son psy,  les flics et le procureur qui vient de brûler ses allocs, la peur au ventre, mais l’envie de vivre à tout prix , parce que Miss Ballerine lui a ouvert sa porte et que le petit Jules lui tend un dessin, le Privé porte 2 doigts à son feutre et s’éloigne dans le brouillard en direction du ponton arrimé à la baie de San Francisco. « Il n’a plus besoin de lui puisqu’il sait qu’il lui reste le papier, la pellicule, tous ces mythes qui servent à inventer la vie »